Un petit hameau du Bugey


















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A écouter:


La belle Allemande - Sarabande botanique

solo: traverso Bernard

par François Dumont d'Ayot

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SÉCHERON, un petit hameau du Bugey


Les anciens l'ont nommé Lieu-dit Sécheron.


Comme on le remarque s'agissant de lieux célèbres où la nature et les hommes ont conjugué leurs efforts pour donner naissance à une tradition voire à une visibilité, le hameau de Sécheron se présente à la fois sous l'apparence d'une composition d’éléments naturels tels qu'on les retrouve dans les contreforts du Jura et sur les bords de l'Ain et sous l'aspect de vestiges d'une époque laborieuse qu'on visite par curiosité ou par sympathie.

Ce petit hameau du Bugey figure comme un paysage complet au sens où il dispose de ce qui apparait à Jean Guitton indispensable pour sa définition : une rivière, un pré, une colline avec des arbres.

Parmis ces derniers, les noyers tiennent une place privilégiée sur le finage de Saint jean-Le-Vieux. Mais  en  dehors  des vergers à noyers,  à pommiers et des vignes, on

retiendra surtout la présence de moraines médiocrement fertiles et d'une forêt, sillonnée par plusieurs chemins de randonnée, qui s'étendent depuis le Gorget jusqu'aux portes de Dalivoy. Son aspect est très caractéristique des sous-bois de petite montagne avec la présence de châtaigneraies sauvages qui viennent s'ajouter à l'inventaire générale des ressources quant à la flore et la faune, bien mises en relief par le périodique de la Société intercommunale de loisir dont le siège est à Jujurieux.

La question du nom de "Sécheron"


Les anciens l'ont nommé lieu-dit Sêcheron, mais sans qu'on sache combien de temps avant le 14° siècle des hommes lui ont assigné un nom, y ont fixé leur résidence ou s'y sont livré à des pratiques de subsistance. Le plus ancien document d'archives connu, signale seulement que le Moulin de Sêcheron a été rebâti en 1355, par la Seigneurie de Varey, suite à sa destruction par les Dauphinois.

Comme si, une fois de plus, ainsi que le rappelle Michel Serres, il avait fallu que la mort de ce qui était avant, ait pour fonction d'attester le commencement de l'histoire saisissable ou le moment à partir duquel le hameau dont nous parlons, à mi chemin entre les sites immémoriaux de Jujurieux et de Varey, avait fait en sorte qu'on parle de lui, par l'intermédiaire de son moulin et qu'ainsi on l'arrache au fleuve blanc de l'inexistence ou, ce qui revient au même, du perpétuel oubli.

Quant à l'étymologie du nom de Sécheron on trouve différentes orthographes dans les actes notariaux:


Secheron, Seicheron, Seyceron, Seycheron, Siceron, Sécheron.

Si on se réfère au Littré, elle renvoie à un terme rural : « Pré situé dans un lieu sec. Les "sécherons" ont donné cette année à cause des pluies fréquentes qui sont tombées » Or , il est vrai qu'à Sécheron, les prés peuvent être en état de sécheresse grave, l'été, jusqu'au retour des pluies. Pourtant, s'il y a des plaintes au sujet de la sécheresse, on retrouve surtout dans les annales municipales un contentieux abondant sur les inondations du canal ou du Riez. Faut-il imaginer que la désignation "Sécheron" aurait été employée par dérision compte tenu de son taux d'humidité élevé, des brouillards fréquents et de la présence cumulée de la rivière Le Riez et du canal qui en est dérivé.

Par ailleurs, il existe un quartier de la ville de Genève, jouxtant celui hautement célèbre du Mont Blanc qui porte le nom de Sêcheron (orthographié avec un accent aigu ou sans accent sur Internet) Peut-on faire dans ce cas l'hypothèse fantaisiste d'une importation de cette appellation dans le Bugey par les Contes de Genève puisqu'ils sont propriétaires du Château de Varey dont dépend le moulin de 1240 à 1349 ?


Des cartes postales éditées à Jujurieux portent l'appellation de « Quartier de Sécheron ». Sécheron serait-il aussi un quartier de Jujurieux suite à la dévolution du moulin aux habitants de cette commune qui entretenait passerelle primitive et pont en pierre à moitier avec Saint Jean le Vieux.


Enfin, faut-il supposer que le hameau doit son nom origine à l'existence du Moulin et de son canal sur laquelle il faudrait entreprendre des recherches approfondies de nature à préciser la date possible de creusement du canal et de construction du moulin, en raison des privilèges des Seigneurs de Varey. Sachant que faute de disposer  des  résultats  d'un  travail  qui  reste à faire, on doit s'en tenir pour l'instant à

l'assertion sommaire selon laquelle "l'histoire du moulin et de son canal ont suivi les aléas de la seigneurie de Varey" dont la genèse a été établie par Mr Lucien Pérouse du 13° au 18° siècle dans les Chroniques de l'Oiselon. Par la suite, nous trouvons un essai de reconstruction de l'activité économique dans le document édité par les Amis du Patrimoine de Jujurieux intitulé « Au fil des Moulins du Riez », laissant apparaitre que l'aménagement de cette rivière a été déterminant quant au devenir du hameau.

LE CANAL DU SÉCHERON


Gisement d'archives


Il existe un dossier aux Archives Départementales de Dijon concernant le réglement des eaux du Canal. Il porte sur sa dernière page, pour des modifications de dernière heure, l'apposition de la signature de Louis-Philippe (Roi des Français de 1830 à 1848). Ce n'est pas un mince encouragement pour tenter une remontée jusqu'au point de départ de ces documents de l'histoire locale, car ils sont susceptibles de nous conduire à des époques d'autant plus dignes d'investigation qu'elles sont fort reculées.


Qui sait en effet si les Seigneurs de Varey, bien avant que soit imaginable l'implantation "d'une usine" et "d"un usinier" à Sécheron - termes utilisés à la place de "moulin" et "meunier" dans les documents en question - n'auraient pas usé de leur privilège de  statuer souverainement sur l'écoulement des eaux, à cette époque

lointaine, antérieure à la Nuit du 4 Août où personne n'était fondé à leur contester.

C'est en effet, selon toute probabilité, un insigne privilège qui a pu autoriser l'édification du Canal de Sécheron conçu comme un "démembrement concurrent" de la rivière Le Riez. Cela signifie, en termes moins savants, que, contrairement aux dispositions habituelles concernant les cours d'eau, l'eau enlevée à cette rivière par le barrage à niveau constant installé à 1 kilomètre environ en amont de l'ancien Moulin de Sécheron, ne lui sera jamais  restituée, sur le cours de son lit dessiné en majeure partie sur le territoire de Jujurieux.

Au XIX° siècle et visage actuel


Au XIX° siècle, conformément aux informations consignées dans le document du Patrimoine, Sécheron était voué à plusieurs type d'activité complémentaires, notamment la minoterie, l'artisanat, l'agriculture et la vigne. La dizaine de familles qui habitait sur place s'en partageait les bénéfices, puisqu'on voit subsister jusqu'en 1945 quatre exploitations agricoles et vinicoles dans le hameau dont la dernière expirera seulement en 1970. Et, grâce à la force motrice que représentait la chute d'eau de Sécheron et d'Hauterive, c'est tout un artisanat typique de l'époque qui assurera, au cours de ce siècle, la prospérité des alentours.

A titre d'exemple, si on en juge par les litiges de voisinage qui ont donné lieu à des écritures, on trouvait entre ces deux moulins, des rémouleurs, des tourneurs sur bois, des maraîchers, des tisserands et travailleurs du chanvre qui avaient chacun, l'obligation de "laisser fluer l'eau" pour les entreprises situées en aval. Sachant que dans le même temps, passant de l'artisanat à l'industrie, Jujurieux, connaissait un essor exceptionnel, grâce à l'installation de l'Usine de soierie et du pensionnat qu'y implanta C. Joseph Bonnet, au sommet de sa carrière. Non sans que cette Fabrique fournisse une opportunité de travail à des jeunes femmes, habitant Sécheron, qui exerceront le métier d'ourdisseuses au service des héritiers et successeurs du fondateur. Mais l'avènement du machinisme industriel, à l'aube du XX° siècle devait amener le dernier  meunier  ou usinier de Sécheron à transférer ses installations sur le lieu d'une force motrice moins aléatoire que la chute d'eau le long du canal, laissant les anciens bâtiments à un usage d'habitation auquel personne n'avait songé.


Dix ans avant son décès en 1965, Félix Auguste Alliod qui en avait hérité, entreprit de restaurer les bâtiments de l'ancien moulin que son père Marius Etienne (1851 - 1921) avait acquis en 1884 et à l'intérieur duquel il s'était installé avec sa femme Gasparine Got (1852 - 1952) et ses deux enfants : Henry né en 1876 et le même Felix Auguste né en 1878. Cette réhabilitation devait permettre la division du bâti ancien en quatre lots dont l'un dit "l'huilerie" fut vendu, le premier en 1980. A l'issue de cette modernisation des surfaces bâties, la commune de saint Jean-Le-Vieux prit en 2005, la décision de modifier le tracé du chemin qui reliait le haut et le bas du hameau, donnant à l'espace intermédiaire l'usage décoratif qu'on peut voir aujourd'hui, où chaque famille cultive des fleures dont les couleurs vives rehaussent discrètement l'esthétique des murs de pierres et des balcons ceinturés par des rambardes en bois.

Comme si la vocation de Sécheron ne consistait plus à produire sa subsistance mais à offrir le confort et l'agrément de ses résidences à ceux qui, grâce à des revenus provenant de l'extérieur, y ont élu domicile à titre permanent ou saisonnier. Non pas exactement parce que les humains ne font jamais l'histoire qu'ils veulent, mais parce que, par la force des choses, chacun a compris que l'avancée des privilèges du bien être et de l'intériorité n'autorise plus,  sauf dans l'imaginaire, à immobiliser la terre natale dans cette forme qu'avait souhaitée Lamartine : « Effaces ce séjour, O Dieu, de ma paupière ou rends le moi pareil à celui d'autrefois ».

Magazine littéraire


Contentons-nous de rappeler que Sécheron se trouve cité sous la plume d'écrivains de talent, nés dans les années 30 à 40, tels que Charles JULIET, dont les origines se trouvent partagées entre le Plateau de Corlier et le village de Jujurieux et Jocelyne François, venue à Sécheron en convalescence. l'un et l'autre n'ont plus à être présentés dans le monde littéraire.


On peut également consulter les traces des annalistes, chroniqueurs locaux et photographes amateurs qui s'y sont arrêtés, telle cette photo de la rivère et des maisons d'habitation les plus anciennes.


Enfin, nous reproduisons un extrait du carnet intime de cet écolier poète signalé plus haut dont deux textes datés respectivement de 1891 et 1901, à la charnière des siècles, font état de l'attachement à la terre natale, sans qu'il faille y chercher les accents inoubliables que Lamartine et du Bellay ont consacré à Milly et au Petit Liré.

Présentée dans sa forme d'origine, cette petite célébration agrémentée de la note de nostalgie attendue, permettra au lecteur, même si l'application littérale des règles de versification n'est plus guère appréciée de nos jours, de juger de l'assiduité d'un enfant du pays né en 1878, mort en 1965. Il rédige de la pension des Lazaristes à Lyon, les premières strophes reprises au Service Militaire à Belley, dix ans plus tard. Il y poursuit de façon un peu austère, conformément aux convictions de son temps, la rime riche et le rythme à douze pieds.


Fidèle à son inspiration, il y exalte l'amour du pays natal et ne manque pas d'inviter, comme il se doit, ses compatriotes à la partager.



Notice locale

Sécheron le 1er Décembre 1996


Marius ALLIOD

Son histoire exacte avec ses enchainements profonds liés au Château de Varey et aux communes de Jujurieux et Saint Jean-Le-Vieux, reste à écrire, moyennant des recherches plus poussées. Mais déjà des traces de la mémoire populaire parlent de ce lieu et lui confèrent dès à présent une petite dimension d'éternité.


Des extraits de ce texte ont été publiés dans

le Bulletin municipal de Saint Jean-Le-Vieux - 1997

et dans

"Au fil des Moulins du Riez"


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Sécheron


Comme l'oiseau son nid

l'enfant aime son hameau




En aval d'un coteau, près d'un petit torrent

s'élève mon hameau sous un aspect charmant.

En été le peintre y trouve un très beau site

et le pauvre en hiver y vient chercher son gîte...

Au milieu du village est un vaste moulin

qui travaille tout le jour pour écraser le grain...

Auprès de ce moulin, scierie et chantiers

sont sans cesse occupées par des manouvriers.

le tic-tac continu, les grincements de scie

jettent dans ce hameau de la monotonie

mais pas au détriment d'une franche gaîté

qui s'unit au travail et à l'activité...

Le travail du moulin, quant la nuit est venue

au milieu du silence encore continue.

C'est avec le meunier que jusqu'au jour il veille

pendant que le hameau profondément sommeille;

Je couche aupès de lui, doucement il m'endort

et quand le point du jour apparaît au dehors

il semble s'animer et aller un peu vite

annonçant, de la nuit, la dernière limite...

Quant à la terre enfin apparaît le soleil,

au sommet d'un coteau, radieux et vermeil

chacun dans son hameau est bien à son ouvrage...

La chute de l'usine a franchi son barrage

le bon cultivateur travaille dans ses champs

et l'oiseau l'y récrée en répétant ses chants.



Mais cette terre active étant votre patrie,

dîtes-moi son beau nom, enfant, je vous en prie :

les anciens l'ont nommée - lieu-dit Sécheron -

et je suis le premier qui vante son renom !



Jean-Felix ALLIOD

Décembre 1891